• "22 septembre 2020, 10 heures 20, heure universelle.



    D'un coup de poignet nerveux, Massi N'Do venait de consulter sa Black Minerve. Il était encore légèrement contrarié mais sous l'effet du soleil subtilement estival de ce septembre romain finissant la crispation de ses maxillaires s'atténuait.



    Il était tendu depuis son réveil, à 9 heures sonnées, lorsque la lumière tournante qui filtrait par l'interstice des doubles rideaux de la suite 42, hôtel excelsior, via Veneto, l'avait atteint en plein front. Il avait alors réalisé d'un coup que la blonde endormie sur le lit voisin avait, la veille, mangé la consigne. Le concierge n'avait pas été prévenu de son désir d'être réveillé à 7 heures. Il s'était jeté sous la douche, avait endossé avec répugnance sa chemise défraîchie et son costume trop froissé, griffé, Marillo. Il aurait aimé s'habiller de frais mais l'ambassade, place Pasquino, ne comportait que des bureaux et des salles de réception où il aurait vainement cherché un costume de rechange. Quant à passer à son appartement, il n'en était pas question. Depuis cinq ans, le centre de rome était interdit à la circulation, ce qui obligeait à d'interminables trajets circulaires en voiture électrique. Roma avait beaucoup perdu de son charme depuis cet interdit. Il maudissait le snobisme qui l'avait poussé, deux ans auparavant, à s'installer au diable vauvert, dans le Trastevere, comme tous les diplomates, gens du show-biz, politiciens et hommes des arts, dans un superbe appartement rénové d'une maison séculaire. C'était trop loin de la via Veneto, il ne pourrait donc pas se faire une virginité vestimentaire avant son premier rendez-vous. A 10 heures 30, il rencontrait ambassadeurs et ministres de l'environnement des Etats-Unis Européens. (...)


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  • "La rencontre de 10 heures 30 ne l'inquiétait pas. Dans l'affaire en cours, c'était les Européens qui avaient beaucoup à perdre. L'Assythrée avait le beau rôle. Depuis la fin de la troisième guerre mondiale en 2010, la Méditerrannée était sillonnée par des flottes pirates qui rançonnaient les convois commerciaux. Aussi les trajets maritimes étaient-ils réduits au minimum. Les déchets nucléaires européens traversaient l'Europe du nord au sud par chemin de fer puis étaient acheminés par bateau jusqu'en Assythrée. Tous les gouvernants se plaignaient de multiples nuisances au long du parcours ferroviaire qui amenaient des centrales de Laponie, de Silésie, de Biélorussie ces déchets du tout nucléaire en vigueur jusqu'aux usines de retraitement installés dans les déserts africains. Les produits traités étaient ensuite réexpédiés en Europe. Ces aller-retour enrichissaient l'empereur d'Assythrée. Massi N'Do savait que les états européens allaient réclamer l'acheminement des matières dangereuses par voie exclusivement océanique, sous haute surveillance militaire assythréenne. Mais pour cela, il aurait fallu que les convois traversent la République Equatoriale, trop hostile à l'Assythrée. Il n'avait qu'un argument à opposer à leurs revendications : "si vous n'en voulez pas, nous livrerons uranium et plutonium aux Etats-Unis d'Asie et vous garderez vos déchets." Cela les calmerait rapidement.


    Plus aucun mécontentement ne troublait son esprit. A bien y penser, tout allait très bien pour lui, depuis la dernière guerre. (...)"


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  • "Décidément les Européens manquaient d'intérêt. Il allait les faire attendre. D'ailleurs il était déjà 10 heures 30. Il commanda un nouveau cappuccino.


    En se tournant pour héler Gigi, quelque chose, un reflet, attira son attention, là-bas, sur la fontaine des Quatre fleuves. Oui, c'était bien ça, une lueur rouge qui palpitait. Cel semblait sortir de la bouche du Nil.


    Puis la lueur devint une tache. Elle gagna toutes les gueules des poissons, des tritons, serpenta sur les naïades assemblées au pied du fleuve dieu. Cela coulait, riche et chaud. Cela déborda bientôt la vasque. Cela rampait, poisseux et sanglant, à travers la place Navona, jusqu'à venir lécher les pieds du buveur de café.


    Quand Gigi s'approcha, il toucha respectueusement du doigt l'épaule de son client figé dans la contemplation de la fontaine. L'ambassadeur resta sans réaction. Gigi n'eut qu'à constater le décès de Massi N'Do.


    Yeux exorbités, bouche béante du dernier cri avorté, monsieur l'Ambassadeur était mort noyé dans le sang vengeur de tous ses frères par lui assassinés.


    le Nil l'avait tué.


    Ou bien était-ce l'excès de café ?"


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  • "René et Juliette S. avaient, comme chaque année, convié leurs amis à dîner, le soir du 14 juillet.


    Dans leur appartement situé au dernier étage d'une résidence de l'avenue du Lac, on faisait bombance en attendant le feu d'artifice. Tous s'accordaient à dire que, du balcon des S., la vue sur la ville et le lac était unique.


    La réception se déroulait à la perfection; Comme d'habitude, juliette se dépensait sans compter pour que tout fût parfait; Elle n'avait pas sa pareille pour organiser  dans les moindres détails les petites fêtes du groupe. Ses amies papotaient. Les futilités fusaient. D'un accord tacite, elles bannissaient les sujets sérieux de leurs conversations. Toutes travaillaient. Leur cercle comprenait plusieurs propriétaires de boutiques de luxe, offertes par les maris, signes extérieurs de réussite sociale. Seule Juliette avait laissé son existence s'écouler en totale vacuité. Elle ne s'attachait qu'au bien-être de René. Sa vie n'était que domestique, à la dévotion de son époux. Elle regrettait de ne pas avoir eu d'enfant. Elle cachait au plus profond de son coeur le souvenir de  l'avortement auquel l'avait obligée le beau René, alors qu'ils n'étaient pas encore mariés. Elle faisait comme si cette vie lui convenait et se taisait.


    A bien y penser, Juliette traitait en amie des femmes imposées par son mari qui fréquentait leurs époux. Elles les trouvait cependant sympathiques, insouciantes et joyeuses.


    Un peu flétries par les ans, certes. Mais si attendrissantes dans leurs efforts à rester attrayantes.(...)"


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  • "D'un coup, elle apprend que toutes ses amies sont inscrites au tableau de chasse de son mari, jusqu'à Manon, la maniaco-dépressive anorexique...



    La femme trompée reste le geste suspendu. Un grondement monte, s'amplifie. Elle croit que toute la rage du monde est en train de l'envahir. Quand les vitres de la bibliothèque se mettent à vibrer, elle comprend qu'il s'agit d'un tremblement de terre.



    Elle n'a à faire qu'un pas en arrière, en accompagnant de la main la chute du meuble. Le mari volage finit sa vie sous une tonne de papier, de bois et de verre.



    Jamais l'ombre d'un soupçon ne planera sur la veuve visiblement éplorée."


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