• "J'avais quinze ans quand je vis pour la première fois le film de Paul Wegener "Der Golem".


    Je m'en souviens comme si c'était hier. Et pourtant cela date de plus de cinquante ans. c'était en automne 47.


    Mon père nous avait traînés dans son sillage, ma mère et moi, jusqu'à Spire,sur les bords du Rhin, avec l'armée d'occupation alliée.


    je fréquentais un curieux établissement où les cours étaient dispensés à la "va comme je te pousse" par des militaires désoeuvrés à des potaches déboussolés. Ce qui intéressait le plus les élèves était le ciné-club installé dans le couloir de l'école, dont les fenêtres noircies pour cause de black-out n'avaient pas été nettoyées. Sur des bancs de bois inconfortables, une armée de potaches vit au fil des semaines tous les chefs d'oeuvre du cinéma muet miraculeusements sauvés des bombardements de 45. Et plus particulièrement "Der Golem" qui me fit une si formidable impression que cela décida du sens que je devais donner à ma vie.


    "Der Golem" conditionna mon existence puisque je consacrai mes études à l'apprentissage de la langue slave et à l'histoire de Bohême. Je me spécialisai dans la connaissance du règne de l'empereur Rodolphe II et devins au fil des ans un parfait promeneur de Prague. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui retraité et dégagé de toute obligation familiale, je me suis installé dans la ville. Jour après jour, je trompe le temps, luttant contre le stress de la vie et l'angoisse de la mort, vissé quasiment à demeure sur la banquette de moleskine de la brasserie "U Fleku".


    Vous m'avez trouvé là, abusant de la bière, certes, mais lucide et prêt à répondre à vos questions. Votre hebdomadaire parisien vous envoie à la recherche des raisons qui font que les Français depuis quelque temps ne rêvent que de Prague. il n'y a pas de raison, il n'y a qu'une magie, une alchimie complexe qui perdrait beaucoup de son efficacité si l'on tentait de l'expliquer. A Prague, il faut se laisser charmer.


    Si je peux émettre un voeu, je souhaiterais que vous expliquiez à vos lecteurs que venir ici fait perdre la raison. Cela limiterait le nombre de touristes qui envahissent la ville et gâchent le paysage.


    Au fil des jours, je me suis lié d'amitié avec quelques habitués dont un ancien commissaire de la police urbaine. Il est mort depuis trois ans déjà. (...)"


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  • "(...) et se dirigeait vers la sacristie quand, soulevé par le vent de ses allées et venues, ce qu'il crut tout d'abord être un mouton de poussière vint se poser à ses pieds.




    C'était une plume vaguement dorée. Pas un duvet, pas une rémige de pigeon mais une petite plume discrète et légère, serrée entre les pennes et les plumules sur les ailes des grands oiseaux...




    Le commissaire la ramassa et leva les yeux. Dans la lumière sacrale filtrant des vitraux, les anges brillaient de mille feux. Ils étaient innombrables, montant à l'assaut des colonnes, assaillant les balustres, investissant la coupole, suspendus semblait-il pour l'éternité dans l'infini de leurs ciels d'azur. Tous le regardaient, ironiques et sibyllins.




    Le commissaire comprit qu'il venait de découvrir les auteurs de l'exécution.




    "Dites-le bien à vos lecteurs : à Prague, les anges assassinent les mécréants à coups d'ailes." 


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  • "La nuit d'hiver étendait sa chape glacée sur la ville. Comme chaque soir, depuis bientôt deux ans, Perla entra dans le cimetière de la synagogue Pinkas, avec au coeur une attente trouble...  Elle pressentait que cette visite ne serait pas semblable aux autres.


    perla était la fille d'un coordonnier de l'île de Kampa. Véritable héroïne de conte slave, elle avait pour seule tâche de se parer de ses plus beaux atours pour aller, l'heure venue, porter dans les maisons nobles de prague les chaussures fabriquées par son père, fort habile et reconnu meilleur artisan de la ville.


    Le brave homme espérait qu'un jour un client remarquerait la jeune fille et lui offrirait une place dans sa demeure. Servante ou maîtresse, la chère enfant serait à l'abri du besoin.


    A la fin d'une douce après-midi du printemps de 1798, une livraison avait envoyé Perla de l'autre côté de la Moldau, rue Brechova, chez un bourgeois, fourreur de son état. Son père lui avait recommandé de ne pas traverser le Cinquième Quartier, pour échapper à ses sortilèges. Il fallait longer la rivière et se presser de rentrer car il était déjà tard. Le quart de cinq heures avait sonné au clocher de Saint-Nicolas. (...)"


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  • "(...) lorsque son père s'était rendu compte de la fatale attirance, quelques vingt mois auparavant, il l'avait suivie sur les lieux du charme. Pendant un temps, il l'accompagna mais il restait aux grilles du cimetière. Il n'osait franchir les frontières du domaine des morts. Il attendait que sa fille sortît de sa torpeur et voulût bien regagner leur logis. puis il s'était lassé. Il ne la suivit plus car elle rentrait toujours avant la demie de sept heures.



    Ce soir-là, quelque chose avait changé.



    L'une des tombes, sentinelle dressée, semblait lentement se métamorphoser. Un vieillard se dégageait de l'emprise de la pierre. Après plus de douze mille jours de repos, l'éternel promeneur praguois reprenait son périple harassant qui le menait aux quatre horizons, par tous les chemins de l'ancien royaume de Bohême. Il fuyait pour ne pas assister à l'inexorable.



    Un étrange orage d'hiver tardait à éclater, nimbant le lieu d'une lumière iréelle."


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  • "C'était le signe qu'attendait la Créature, couchée depuis trente-trois ans sur le ventre de son maître. Le Golem sortit de sa gangue de pierre durcie et prit la forme d'un immonde crapaud pustuleux.


    La jeune vierge était là, offerte. Le crapaud l'enveloppa de sa bave pétrifiante, renouvelant ainsi le sortilège.


    La fille de pierre, endormie pour un nouveau cycle fatal, rêvait confusément que le moment venu, elle trouverait facilement une proie consentante.


    Longtemps encore jouerait le charme du cimetière." 


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