• "René et Juliette S. avaient, comme chaque année, convié leurs amis à dîner, le soir du 14 juillet.


    Dans leur appartement situé au dernier étage d'une résidence de l'avenue du Lac, on faisait bombance en attendant le feu d'artifice. Tous s'accordaient à dire que, du balcon des S., la vue sur la ville et le lac était unique.


    La réception se déroulait à la perfection; Comme d'habitude, juliette se dépensait sans compter pour que tout fût parfait; Elle n'avait pas sa pareille pour organiser  dans les moindres détails les petites fêtes du groupe. Ses amies papotaient. Les futilités fusaient. D'un accord tacite, elles bannissaient les sujets sérieux de leurs conversations. Toutes travaillaient. Leur cercle comprenait plusieurs propriétaires de boutiques de luxe, offertes par les maris, signes extérieurs de réussite sociale. Seule Juliette avait laissé son existence s'écouler en totale vacuité. Elle ne s'attachait qu'au bien-être de René. Sa vie n'était que domestique, à la dévotion de son époux. Elle regrettait de ne pas avoir eu d'enfant. Elle cachait au plus profond de son coeur le souvenir de  l'avortement auquel l'avait obligée le beau René, alors qu'ils n'étaient pas encore mariés. Elle faisait comme si cette vie lui convenait et se taisait.


    A bien y penser, Juliette traitait en amie des femmes imposées par son mari qui fréquentait leurs époux. Elles les trouvait cependant sympathiques, insouciantes et joyeuses.


    Un peu flétries par les ans, certes. Mais si attendrissantes dans leurs efforts à rester attrayantes.(...)"


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  • "D'un coup, elle apprend que toutes ses amies sont inscrites au tableau de chasse de son mari, jusqu'à Manon, la maniaco-dépressive anorexique...



    La femme trompée reste le geste suspendu. Un grondement monte, s'amplifie. Elle croit que toute la rage du monde est en train de l'envahir. Quand les vitres de la bibliothèque se mettent à vibrer, elle comprend qu'il s'agit d'un tremblement de terre.



    Elle n'a à faire qu'un pas en arrière, en accompagnant de la main la chute du meuble. Le mari volage finit sa vie sous une tonne de papier, de bois et de verre.



    Jamais l'ombre d'un soupçon ne planera sur la veuve visiblement éplorée."


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  • "J'avais quinze ans quand je vis pour la première fois le film de Paul Wegener "Der Golem".


    Je m'en souviens comme si c'était hier. Et pourtant cela date de plus de cinquante ans. c'était en automne 47.


    Mon père nous avait traînés dans son sillage, ma mère et moi, jusqu'à Spire,sur les bords du Rhin, avec l'armée d'occupation alliée.


    je fréquentais un curieux établissement où les cours étaient dispensés à la "va comme je te pousse" par des militaires désoeuvrés à des potaches déboussolés. Ce qui intéressait le plus les élèves était le ciné-club installé dans le couloir de l'école, dont les fenêtres noircies pour cause de black-out n'avaient pas été nettoyées. Sur des bancs de bois inconfortables, une armée de potaches vit au fil des semaines tous les chefs d'oeuvre du cinéma muet miraculeusements sauvés des bombardements de 45. Et plus particulièrement "Der Golem" qui me fit une si formidable impression que cela décida du sens que je devais donner à ma vie.


    "Der Golem" conditionna mon existence puisque je consacrai mes études à l'apprentissage de la langue slave et à l'histoire de Bohême. Je me spécialisai dans la connaissance du règne de l'empereur Rodolphe II et devins au fil des ans un parfait promeneur de Prague. C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui retraité et dégagé de toute obligation familiale, je me suis installé dans la ville. Jour après jour, je trompe le temps, luttant contre le stress de la vie et l'angoisse de la mort, vissé quasiment à demeure sur la banquette de moleskine de la brasserie "U Fleku".


    Vous m'avez trouvé là, abusant de la bière, certes, mais lucide et prêt à répondre à vos questions. Votre hebdomadaire parisien vous envoie à la recherche des raisons qui font que les Français depuis quelque temps ne rêvent que de Prague. il n'y a pas de raison, il n'y a qu'une magie, une alchimie complexe qui perdrait beaucoup de son efficacité si l'on tentait de l'expliquer. A Prague, il faut se laisser charmer.


    Si je peux émettre un voeu, je souhaiterais que vous expliquiez à vos lecteurs que venir ici fait perdre la raison. Cela limiterait le nombre de touristes qui envahissent la ville et gâchent le paysage.


    Au fil des jours, je me suis lié d'amitié avec quelques habitués dont un ancien commissaire de la police urbaine. Il est mort depuis trois ans déjà. (...)"


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  • "(...) et se dirigeait vers la sacristie quand, soulevé par le vent de ses allées et venues, ce qu'il crut tout d'abord être un mouton de poussière vint se poser à ses pieds.




    C'était une plume vaguement dorée. Pas un duvet, pas une rémige de pigeon mais une petite plume discrète et légère, serrée entre les pennes et les plumules sur les ailes des grands oiseaux...




    Le commissaire la ramassa et leva les yeux. Dans la lumière sacrale filtrant des vitraux, les anges brillaient de mille feux. Ils étaient innombrables, montant à l'assaut des colonnes, assaillant les balustres, investissant la coupole, suspendus semblait-il pour l'éternité dans l'infini de leurs ciels d'azur. Tous le regardaient, ironiques et sibyllins.




    Le commissaire comprit qu'il venait de découvrir les auteurs de l'exécution.




    "Dites-le bien à vos lecteurs : à Prague, les anges assassinent les mécréants à coups d'ailes." 


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  • "La nuit d'hiver étendait sa chape glacée sur la ville. Comme chaque soir, depuis bientôt deux ans, Perla entra dans le cimetière de la synagogue Pinkas, avec au coeur une attente trouble...  Elle pressentait que cette visite ne serait pas semblable aux autres.


    perla était la fille d'un coordonnier de l'île de Kampa. Véritable héroïne de conte slave, elle avait pour seule tâche de se parer de ses plus beaux atours pour aller, l'heure venue, porter dans les maisons nobles de prague les chaussures fabriquées par son père, fort habile et reconnu meilleur artisan de la ville.


    Le brave homme espérait qu'un jour un client remarquerait la jeune fille et lui offrirait une place dans sa demeure. Servante ou maîtresse, la chère enfant serait à l'abri du besoin.


    A la fin d'une douce après-midi du printemps de 1798, une livraison avait envoyé Perla de l'autre côté de la Moldau, rue Brechova, chez un bourgeois, fourreur de son état. Son père lui avait recommandé de ne pas traverser le Cinquième Quartier, pour échapper à ses sortilèges. Il fallait longer la rivière et se presser de rentrer car il était déjà tard. Le quart de cinq heures avait sonné au clocher de Saint-Nicolas. (...)"


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