• "Il battait la campagne à la recherche d'un jeteur de sort promettant richesse et gloire. De Bohême en Moldavie, la réputation du magicien slave avait gagné tous les états. L'apprenti sorcier fit le voyage jusqu'à la forêt de Bitov où mon tortionnaire lui vendit chèrement mon cercueil calcaire. Comme le sorcier lui en avait donné l'assurance s'il maniait le ciseau avec une prudente dextérité, l'élève, dans l'atelier du maître, réussit la taille d'une statue d'esclave maure criante de vérité...


    Depuis des siècles, je hurle à la mort, les soirs de pleine lune. Mon coeur bat. Vous l'entendrez si vous approchez jusqu'à me toucher. J'attends celui qui échangera sa vie contre la mienne. Il viendra si je suis patient.


    Le moment venu, une barque descendra la Vlatva. Le batelier sera si âgé et si las qu'il murmurera désespérance. En amont du pont, je le verrai se laisser tomber à l'eau et s'abandonner au courant. Alors je briserai mes chaînes et je m'élancerai. Sous les yeux de saint Jean Népomucène qui ne me retiendra pas, je sauterai dans la barque abandonnée par le vieux bohémien.


    Je glisserai au fil de la Moldau jusqu'au soleil de mon enfance."


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  • "La vie de Martin Schelle n'était faite que de regrets. Le plus obsédant de ses regrets était celui de ne pas avoir suivi Müller, l'ami de sa mère, quand il avait tout abandonné pour se réfugier à l'Ouest, avant la construction du mur.


    Le père de Martin n'était pas revenu de russie en 45. Müller avait pris sa place. Il avait proposé d'emmener l'enfant et sa mère, à l'Ouest. Mais la femme avait refusé, craignant de ne pas s'adapter aux Anglais, aux Américains ou bien aux français, inconsciente des risques à venir auprès des Russes. Martin était trop jeune pour suivre Müller et il aimait sa mère. Depuis 61, il avait chaque jour regretté son manque de discernement.


    Frau Schelle était morte en 63. A cette époque, le mur était devenu infranchissable, l'évasion dangereuse, voire impossible. Alors, à vingt ans, Martin était entré dans la police. Et il avait passé sa vie à surveiller la frontière. (...)"


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  • "... puis il s'égara dans les quartiers orientaux de la ville où il laissa sa moto. A pied, sans se faire remarquer, il gagna la rue Luckauer. Le soir venu, il s'enferma dans le sous-sol. Pendant la nuit, il mura la porte. Il ne voulait pas revenir sur ses pas et retrouver Beba, sa femme usée, et ses beaux-parents geignards. Seul son fils klaus aurait mérité de l'accompagner mais il avait été tué pendant son service militaire, avant que son père ne lui dévoilat son plan."

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  • "A son réveil, il fit une toilette méticuleuse, se rasa de près, endossa des vêtements propres. Revêtu de sa vieille combinaison qui protégerait son costume noir jusqu'à l'instant de sa délivrance, il attaqua le creusement des trois derniers mètres, à la verticale. Il s'obligea encore à évacuer la terre avec méthodologie et à étayer le boyau.


    Lorsqu'il sentit le sol trembler au-dessus de lui, il abandonna son outil et se mit à creuser des deux mains avec frénésie. Il crut à des hallucinations auditives, lui qui vivait depuis des mois dans un silence sépulcral. Il entendait des chants, des accords de violon. Et aussi des roulements, des grondements, des cris qui lui semblèrent d'allégresse.


    Prenant appui sur les dernières pellées de terre déplacée, il émargea du souterrain, dans le no man's land étroit qui bordait le mur à l'Ouest. L'endroit était vide mais à dix mètres de lui une frange humaine se tut d'un coup en le voyant. Des hommes, des femmes, des enfants le regardaient, stupéfaits. Puis un cri monta de la foule qui désignait du doigt quelque chose derrière lui.


    Il eut conscience de la réalité du grondement qu'il avait entendu sous terre. Les bruits pulsaient, s'accordaient aux battements de son coeur. Ses jambes encore serrées dans le souterrain, il ne put qu'ébaucher un lent mouvement du torse.


    Ce fut suffisant pour voir un char heurter le mur et le pousser. Fracas et tremblements apocalyptiques.


    Figé par l'effrayante horreur de sa destinée, Martin Schelle regarda le mur s'abattre sur lui.


    Il était 20 heures 30, le 24 décembre 1989, dans berlin unifié." 


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  • "Dieu du ciel ! Mais que dirait-il s'ils l'interrogeaient ? Qui allait croire qu'il n'y était pour rien ? D'autant qu'il avait tout vu ! Ou presque ! Il était au courant de tout depuis le début..."



    Il n'avait pas assisté à la première rencontre de la jeune comtesse avec le beau Miroslav Slava. Il n'avait pas pu dire à la pauvre innocente tout le mal qu'il pensait du vil séducteur. De toute façon, elle ne l'aurait pas écouté.



    Il est vrai qu'elle avait bien des raisons de tomber dans les bras du jeune homme. Le comte avait quoi ? Trente, quarante ans de plus qu'elle. On l'avait vendu au vieux qui voulait un tendron pour réchauffer son lit.



    Et son époux n'aurait pas dû l'abandonner si souvent, pour courir les chemins de l'empire, de Bohême en Moravie en passant par la Slovaquie, poussant parfois jusqu'en Russie. C'est vrai, elle avait des excuses.



    Il l'aimait tant, depuis si longtemps.



    Elle sortait, apprêtée comme une reine, le pied agile, dépassant à peine de ses volants de satin. Sa vue faisait battre son coeur de pierre. Sa démarche était si légère, un souffle, une plume. Comme il l'admirait, lui si lourd, figé et muet sur son passge.



    Elle ne le voyait pas. Ou si peu. Une fois, seulement...



    (...)


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