• "(...) lorsque son père s'était rendu compte de la fatale attirance, quelques vingt mois auparavant, il l'avait suivie sur les lieux du charme. Pendant un temps, il l'accompagna mais il restait aux grilles du cimetière. Il n'osait franchir les frontières du domaine des morts. Il attendait que sa fille sortît de sa torpeur et voulût bien regagner leur logis. puis il s'était lassé. Il ne la suivit plus car elle rentrait toujours avant la demie de sept heures.



    Ce soir-là, quelque chose avait changé.



    L'une des tombes, sentinelle dressée, semblait lentement se métamorphoser. Un vieillard se dégageait de l'emprise de la pierre. Après plus de douze mille jours de repos, l'éternel promeneur praguois reprenait son périple harassant qui le menait aux quatre horizons, par tous les chemins de l'ancien royaume de Bohême. Il fuyait pour ne pas assister à l'inexorable.



    Un étrange orage d'hiver tardait à éclater, nimbant le lieu d'une lumière iréelle."


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  • "C'était le signe qu'attendait la Créature, couchée depuis trente-trois ans sur le ventre de son maître. Le Golem sortit de sa gangue de pierre durcie et prit la forme d'un immonde crapaud pustuleux.


    La jeune vierge était là, offerte. Le crapaud l'enveloppa de sa bave pétrifiante, renouvelant ainsi le sortilège.


    La fille de pierre, endormie pour un nouveau cycle fatal, rêvait confusément que le moment venu, elle trouverait facilement une proie consentante.


    Longtemps encore jouerait le charme du cimetière." 


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  • "Marie Dru était âgée de plus de soixante ans. Depuis qu'elle avait pris sa retraite de consciencieuse employée de banque, elle ne comptait plus les années.


    C'était la seule chose qu'elle ne comptât pas. Il fallait bien qu'elle compte tout le reste ! Sa pension de retraite était si mince qu'elle avait établi un plan drastique de ses dépenses, après quelques temps d'euphorie passés à tirer de modestes plans sur la comète : "je vais voyager, repeindre l'appartement, acheter une machine à laver, renouer avec mes cousins bretons".


    A la fin de chaque mois, il lui restait tout juste de quoi aller au cinéma. L'après-midi. Le soir, c'était trop risqué. (...)"


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  • "Elle contacta les organisteurs, prévint qu'elle venait seule. Elle fit sa valise et s'embarqua en gare de Lyon pour le voyage de sa vie.



    Pendant cinq jours, perdue au sein d'un groupe de touristes teutons, elle profita de chaque instant. Elle trouva la nourriture excellente, elle adorait la pasta. Elle ne comprit pas un mot des explications du guide qui ne parlait qu'allemand. Qu'importe ! Le souvenir de ses lectures passées lui suffisait. Pour elle, Thomas Mann hantait le Lido. Elle regardait, elle admirait, elle jubilait. Elle imaginait une vie de fêtes baroques, de carnavals débridés, de joutes nautiques à la Canaletto."


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  • "Avant le départ fixé à 13 heures, gare Sainte-Lucie, elle s'échappa un moment pour aller encore une fois place Saint Marc, goûter encore un peu à la magie vénitienne.


    La matinée de mars s'achevait. Il faisait froid. Le vent chargé des brumes de la lagune giflait les rares passants qui se hâtaient pour emprunter une venelle abritée.


    Elle était seule, plantée au pied de la tour de l'horloge, quand sonna le premier coup de midi.


    Elle leva la tête au onzième coup pour voir le Moro de droite amorcer son ultime geste. le maillet n'atteignit pas la cloche. Incrédule, elle suivit du regard le marteau de bronze qui s'envolait en un arc impeccable. Elle ne bougea pas, fascinée par la masse qui s'approchait inexorablement.


    A l'instant final, résignée, Marie Dru ferma les yeux sur ses rêves.


    Il était écrit que l'attendait la Mort à Venise."


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